Fin connaisseur de l’architecture du sud-est, à laquelle il a consacré un livre, Provence(s), l’art des maisons, Robert Gervais nous raconte les maisons de son enfance. « J’ai grandi entre un appartement à Cannes, une demeure de maître à La Ciotat et une maison rustique à la campagne, dit-il. A chaque lieu correspondaient des volumes, un mobilier, une ambiance et un style de vie différents. J’ai ainsi réalisé très jeune qu’il n’existait pas un intérieur type ou un plan universel : des lieux très différents fonctionnent si l’environnement, la nature et les saisons – qui importent tant en Provence – sont bien compris. » Dans ses projets qui ne se ressemblent pas mais où sa signature est toujours reconnaissable, l’architecte d’intérieur restructure et aménage l’espace en usant d’une grande liberté. A l’instar des bâtisses provençales, dont la circulation parfois insolite découvre des espaces inattendus, Robert Gervais aime ménager des surprises dans ses plans – un bureau dissimulé derrière une porte de placard, un cellier dérobé, une salle de bains ou une bibliothèque insoupçonnée… – et multiplier les perspectives. Pour séquencer l’espace, l’architecte d’intérieur joue de ruptures, avec des décrochements de volumes, des variations de hauteurs sous plafond et des juxtapositions de matériaux nobles et bruts, comme cela se pratiquait dans les bastides où le marbre et les boiseries cohabitaient avec la pierre de Cassis et la terre cuite.
« En Provence, tout est question de dosage entre fantaisie et austérité, sophistication et simplicité, rappelle Robert Gervais. J’ai toujours cette question d’équilibre à l’esprit lorsque je conçois mes projets. La Provence, pays d’ombres et de lumières, m’a aussi appris l’importance des nuances. Mis à part les tissus, il y a peu de couleurs dans l’architecture provençale, les tonalités d’un bois, d’une pierre, d’un sol ou d’une cheminée relèvent davantage de nuances. » La subtilité des palettes chromatiques qu’il utilise a valu à l’architecte d’intérieur de concevoir deux collections de peinture (“Cohérence” et “Confluence”) pour le fabricant français Ressource. A quel âge, Robert Gervais a-t-il su qu’il souhaitait devenir architecte d’intérieur ? « Depuis l’enfance, la maison a toujours été synonyme de plaisir, dit-il. Avec mon père Gabriel, bâtisseur dans l’âme, j’érigeais des restanques dans notre pinède sur les hauteurs de La Ciotat. Avec ma mère Geneviève, qui aimait changer l’implantation du mobilier, nous “poussions” les meubles deux à trois fois par an. Le bonheur de mes parents chez eux, leur joie à concevoir toujours de nouveaux projets m’ont inspiré, c’est certain. Mais la visite, vers sept ou huit ans, de la Fondation Maeght à Saint-Paul-de-Vence reste décisive. Quel choc, quelle émotion en découvrant ce lieu et ces œuvres ! J’ai compris qu’une architecture réussie, c’était des espaces qui pouvaient rendre heureux et mettre en lumière ce que l’homme avait produit de plus beau : l’art. Là, j’ai su que se dessinait ma vocation. »
par Bettina Lafond
Elle Décoration — Novembre 2016